L’article « Follow the guides: disentangling human and algorithmic curation in online music consumption » présenté le 30 septembre à ACM Recsys, conférence internationale de référence sur les systèmes de recommandation algorithmique, a été finaliste du « Best paper award ».

Les historiques d’écoute anonymisés de plusieurs milliers d’abonné·e·s d’une plateforme de streaming musical ont permis d’évaluer l’influence de la recommandation sur la consommation de contenus musicaux dans un catalogue de taille infinie en pratique (50M+ de titres). La consommation dite « organique », où les choix des morceaux sont opérés de manière autonome par les utilisateurs·trices, a été comparée aux deux principaux modes de recommandation disponibles sur les plateformes de streaming :
– la recommandation algorithmique, où la programmation des morceaux est entièrement automatisée ;
– la recommandation éditoriale, fondée sur des listes d’écoute établie par des équipes humaines pour toute la plateforme, à l’instar des radios qui font aussi l’objet d’une comparaison en propre dans cette étude.

L’équipe de chercheurs du CNRS (Géographie-cités et Centre Marc Bloch de Berlin) et de Deezer a analysé comment l’utilisation de tel ou tel type de recommandation influe sur deux dimensions de l’écoute musicale :
– l’écoute répétée des mêmes contenus : certains modes d’accès à la musique favorisent-ils la répétition, ou au contraire la diversité ?
– la popularité des contenus écoutés : certains modes d’accès favorisent-ils des écoutes de contenus moins populaires que d’autres ?

Les auteurs parlent de « niches de filtre » plutôt que de « bulles de filtres » : l’influence de la recommandation dépend des utilisateurs·trices, de leur comportement et, vraisemblablement, de leurs attentes à l’égard du guidage algorithmique. L’étude distingue en effet plusieurs catégories d’utilisateurs·trices selon l’importance de leur utilisation de tel ou tel mode d’accès : certain·e·s utilisent plus que d’autres les fonctionnalités de recommandation automatique des plateformes (le « Flow » sur deezer par exemple, ou le « Parce que vous avez regardé… » sur Netflix), tandis que d’autres préfèrent rester principalement maîtres du choix des contenus qu’ils ou elles consomment. Camille Roth et Thomas Louail, chargés de recherche CNRS, résument : « Dans ce papier nous montrons que les effets des différents modes d’accès varient d’une catégorie d’utilisateurs·trices à l’autre. Il n’y a donc pas de réponse simple à la question de savoir si la recommandation algorithmique favorise ou non la diversité des écoutes (ou au contraire le cloisonnement), et si oui ou non elle favorise des contenus déjà très populaires. Dans le cas de l’écoute musicale sur Deezer, les effets de la recommandation sur la diversité et la popularité des contenus consommés diffèrent notamment selon l’intensité de l’usage de celle-ci ». Un constat qui relativise les stéréotypes sur la toute-puissance des systèmes de recommandation algorithmiques.

Ces travaux sont réalisés dans le cadre du projet RECORDS, financé par l’ANR (records.huma-num.fr, 2020-2023). RECORDS est une recherche collaborative conduite par des chercheur.e.s et des ingénieur.e.s qui travaillent au sein de trois laboratoires du CNRS et des départements R&D de Deezer et d’Orange. Le projet est coordonné par Thomas Louail, chargé de recherche CNRS à Géographie-cités, Camille Roth, chargé de recherche CNRS au Centre Marc Bloch (CMB) à Berlin, Philippe Coulangeon, directeur de recherche CNRS à l’Observatoire Sociologique du Changement, Jean-Samuel Beuscart, chercheur chez Orange R&D, et Manuel Moussallam, responsable de l’équipe R&D de Deezer.

ACM RecSys est une conférence internationale de référence sur les systèmes de recommandation.

Voir la présentation de Camille Roth lors de la conférence ACM RecSys (à partir de 1:32:04): https://player.vimeo.com/video/618176799?h=909a58986d

L’article est accessible en open-access :
https://dl.acm.org/doi/10.1145/3460231.3474269