Pourquoi Montréal a arrêté d’incinérer ses déchets durant les années 1990 alors que beaucoup de métropoles du monde ont encore recours à cette technologie aujourd’hui ?

Source : Photographie de Rhéal Benny, Archives de la Ville de Montréal (AVM), 94-B156-001.
Depuis deux ans, j’essaye de comprendre pourquoi Montréal a arrêté d’incinérer ses déchets durant les années 1990 alors que beaucoup de métropoles du monde ont encore recours à cette technologie aujourd’hui. Ayant grandi à l’ombre de ses grandes cheminées, j’ai toujours été fasciné par la ruine urbaine de l’incinérateur des Carrières, dernier incinérateur à déchets solides de l’île de Montréal fermé en 1993. Cet intérêt est devenu un projet de recherche postdoctorale qui m’a amené à lire des milliers de pages d’archives et à interviewer huit personnes impliquées dans la fermeture de cet incinérateur.
Clarence HATTON-PROULX (Linkedin, 26 mai 2025)
Contrairement à une grande partie des villes industrialisées, Montréal n’incinère plus ses déchets solides depuis plus de trente ans. La ruine urbaine de l’incinérateur des Carrières rappelle que la Ville de Montréal a elle aussi choisi de brûler ses déchets ménagers pendant la majorité du 20e siècle. Deux articles de Clarence HATTON-PROULX (UMR Géographie-cités, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), publiés dans Métropolitiques | Metropolitics (version courte) et Urban History Review (version longue), analysent les résultats de ses recherches postdoctorales. Il y explore les facteurs qui expliquent le délaissement de cette technologie de traitement des déchets, à partir de l’étude de cas de l’incinérateur des Carrières, ouvert en 1969 et fermé en 1993, dernier représentant de l’incinération des déchets solides à Montréal.
L’article de Métropolitiques | Metropolitics résume les raisons principales pour lesquelles l’incinérateur des Carrières a fermé : la compétitivité limitée de son réseau de vapeur ; le manque d’entretien et de modernisation dont il a souffert ; la politique municipale et la gentrification des secteurs environnants ; et la concurrence de sites d’enfouissement lointains appartenant à des compagnies multinationales
L’article paru dans Urban History Review / Revue d’histoire urbaine (University of Toronto Press) retrace le contexte historique de la crise de déchets des années 1980, la désindustrialisation et l’endettement montréalais, le mouvement de justice environnementale s’opposant à l’incinération et les changements dans la politique municipale impulsés par le RCM. Elle montre que l’agenda environnementaliste qui a encouragé la fin de l’incinération à Montréal a paradoxalement mené à un recours important à l’enfouissement, plus récemment mitigé par le recyclage et le compostage.
Montrant que les reliques urbaines des incinérateurs montréalais intéressent aussi les personnes nées après la fin de leur exploitation, la charrette d’architecture que nous avons organisée avec le Comité de la relève de la Fondation Héritage Montréal l’an dernier a généré 24 propositions de projets de requalification fascinants et diversifiés. Dans un contexte de transition écologique, ils proposent des visions de réemploi de ce bâtiment iconique mais délaissé en plein centre de Montréal. J’espère qu’elles encourageront une discussion nécessaire sur l’avenir de ce site.
Vous pouvez les découvrir ICI
Clarence HATTON-PROULX (Linkedin, 26 mai 2025)
Clarence Hatton-Proulx. Comprendre la fermeture de l’incinérateur des Carrières: le rôle des changements sociaux et politiques dans la désindustrialisation des environnements urbains. Urban History Review, 2025. https://doi.org/10.3138/uhr-2024-0026
Clarence HATTON-PROULX est docteur en études urbaines de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) et en histoire de Sorbonne Université depuis novembre 2023. Ses travaux de recherche de portent sur le passé et le présent des transitions énergétiques, des infrastructures et de l’environnement dans les villes.
Sa thèse de doctorat, réalisée en cotutelle entre Montréal et Paris, s’est intéressée aux conséquences sociales et matérielles des transitions énergétiques urbaines à Montréal entre 1945 et 1980. Elle a couvert des sujets comme les espaces d’entreposage de bois et de charbon en ville, les stations-services, les raffineries de pétrole, les prévisions de demande d’énergie et les changements dans les dispositifs de chauffage urbain.
Ses recherches postdoctorales, financées par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, étudient l’incinération des déchets ménagers dans une perspective comparative entre Montréal et Paris. Elles concernent aussi la désindustrialisation et la contamination des territoires énergétiques urbains.

