Le Comité technique « Foncier & Développement », groupe de débat et d’échanges sur les questions foncières rurales et urbaines dans les pays du Sud, co-présidé par le Ministère de l’Europe et des affaires Etrangères (MEAE) et l’Agence Française du Développement (AFD), a lancé une étude sur les modalités de conversion des usages du sol dans les Suds en lien avec l’urbanisation. Cette étude a fait l’objet d’un ouvrage collectif et d’un numéro de Regards sur le foncier, tous deux co-signés par Eric Denis et Claire Simmoneau, chercheur·e·s au laboratoire Géographie-cités.
Le Comité technique « Foncier et développement » est un groupe de débat et d’échanges sur les questions foncières rurales et urbaines dans les pays du Sud (Afrique, Asie et Amérique Latine), créé en 1996 à l’initiative de la Coopération française. Il est co-présidé par le Ministère de l’Europe et des affaires Etrangères (MEAE) et de l’Agence Française du Développement (AFD).Il réunit des membres aux profils très divers en termes de disciplines (agronomie, droit, économie, sociologie, anthropologie, sciences politiques), de compétences et de métiers (chercheur, enseignant, expert, militant associatif, professionnel du développement), qui sont issus des principales institutions françaises de recherche, d’enseignement, d’expertise et de coopération sur le foncier.
Ce comité a pour objectif d’appuyer l’élaboration et la mise en œuvre de politiques foncières qui soient adaptées aux enjeux fonciers (accès à la terre du plus grand nombre, opérationnalité des dispositifs de gestion foncière) dans les pays du Sud. Sa réflexion s’articule autour de deux grandes questions : les politiques foncières et les marchés et transactions foncières, dont les appropriations de terres à grande échelle constituent une forme exacerbée. Le Comité défend dans ses travaux la reconnaissance de la multiplicité des droits et la nécessité d’avoir autour des enjeux fonciers un dialogue multi-acteurs.
Le programme de recherche Terres en devenir – Conversions des usages du sols dans les Suds, financé par le Comité technique foncier et développement, porte sur les modalités de conversion des usages du sol dans les Suds en lien avec l’urbanisation. Il s’agit, d’une part, de repérer et classer les processus de conversion, les sorties des usages agricoles ou l’entrée sur le marché urbain à l’échelle macro et, d’autre part, de documenter à partir d’études de cas précises les modalités d’action et leurs effets. Ce programme est piloté au sein de Géographie-cités par Éric Denis, directeur de l’UMR.
Cette étude a fait l’objet de deux publications :
- Un ouvrage collectif « Conversions ordinaires des usages des sols liées à l’urbanisation dans les Suds : Habitation, capitalisation, mutations de l’agriculture »
- Un numéro de Regards sur le foncier « Conversions ordinaires des usages des sols liées à l’urbanisation dans les Suds : Etudes de cas ».
Conversions ordinaires des usages des sols liées à l’urbanisation dans les Suds
La rédaction de ce rapport et la mise en œuvre du projet de recherche qui est à son origine ont été pilotées par Bérénice Bon (IRD, UMR CESSMA), Claire Simonneau (Laboratoire Techniques Territoires et Sociétés et UMR Géographie-cités), Éric Denis (UMR Géographie-cités) et Philippe Lavigne Delville (IRD, UMR SENS).
Cette étude porte sur les modalités de conversion des usages du sol dans les Suds en lien avec l’urbanisation. Sont analysées les différentes étapes du processus de conversion : changements de possesseurs, acquisition des droits fonciers, transactions, divisions parcellaires, valorisations par la construction, promotion immobilière (lotissements, projets immobiliers de différentes tailles, etc.) ou mises en friche (parcelles bornées qui restent non bâties). Les conversions de grande ampleur générées par des grands projets d’aménagement, les infrastructures, l’industrie et les activités extractives, ou les accaparements à grande échelle en milieu rural ont été largement examinées cette dernière décennie.
En revanche, la manière dont les habitants, détenteurs de droits fonciers locaux, les acteurs économiques locaux, les élus locaux – en somme les acteurs ordinaires – acquièrent des parcelles et les détournent de leur usage antérieur dans une perspective de capitalisation, d’habitation ou de développement d’activités économiques n’est guère documentée. Pourtant, il s’agit d’une dynamique de grande ampleur, diversement orientée par les cadres règlementaires et les impulsions données par les acteurs publics, qui reste mal identifiée.
Ces conversions s’accélèrent sous l’influence de différents facteurs : croissance urbaine à différentes échelles, mutations des normes juridiques locales d’accès à la terre en milieu rural, poussée des marchés fonciers ruraux et urbains, montée en puissance des acteurs privés et financiers dans la production foncière et immobilière, ainsi que l’aménagement urbain. Leurs effets sont majeurs : détérioration de l’environnement, creusement des inégalités socioéconomiques, pression sur l’agriculture familiale et stérilisation de sols fertiles, risques financiers à de nombreuses échelles, poids porté sur les autorités en matière d’infrastructures et de services.
Des régulations sont nécessaires, mais compte tenu de la diversité des secteurs de politiques publiques concernés, ces régulations ne peuvent s’appuyer uniquement sur les outils classiques de planification, de zonage et de protection de périmètres agricoles. Les analyses conduites au sein du Comité technique « Foncier & Développement » proposent quelques pistes et principes pouvant guider l’action publique qui reposent notamment sur l’amélioration de la participation et de la veille citoyenne, la mise en place de mécanismes financiers et fiscaux permettant de partager la rente foncière liée aux conversions pour qu’elle contribue au financement du développement local, ou encore le soutien aux démarches de prospective territoriale et de planification.
Télécharger Conversions ordinaires des usages des sols liées à l’urbanisation dans les Suds : Habitation, capitalisation, mutations de l’agriculture. Comité technique « Foncier & Développement »: janvier 2023, 110 p.
Études de cas sur les modalités de conversion des usages des sols
Ce travail est le fruit d’une collaboration étroite entre l’équipe de coordination de l’étude sur les modalités de conversion des usages des sols : Bérénice Bon (IRD, UMR CESSMA), Claire Simonneau (Laboratoire Techniques Territoires et Sociétés et UMR Géographie-cités), Éric Denis (UMR Géographie-cités), et une équipe de chercheur·es associé·es : Myriam Ababsa (IFPO), Adeothy Adegbinni (UNSTIM), Armelle Choplin (Université de Genève), Valérie Clerc (IRD, CESSMA), Jean-Philippe Colin (IRD, SENS), Philippe Lavigne Delville (IRD, UMR SENS), Gabriel Fauveaud (Université de Montréal), Julie Gangneux-Kebe (ENSAN, CRENAU), Pierre Kandem (Université de Poitiers), Faten Kikano (Université de Montréal), Murad Kalaldeh (Al Balqa’a Applied University, Jordanie), Auréa Pottier (IRD, SENS), Sina Schlimmer (IFRI), Adama Sow (UCAD) et Jean-François Valette (Université Paris 8, LADYSS).
Ce numéro de Regards sur le foncier s’inscrit dans le cadre d’un chantier de recherche mené avec le Comité technique « Foncier et développement » portant sur les processus de conversion des usages des sols dans les Suds. Par conversion des usages des sols, nous entendons la transformation de l’usage d’un sol cultivé ou naturel à des fins d’habitation. L’étude se concentre sur les conversions liées à l’urbanisation, considérant les usages du foncier relatifs à la construction d’un logement, à la promotion immobilière, à la thésaurisation ou à la spéculation, liés à la proximité d’un centre urbain ou à la perspective de l’avancée du front urbain.
Cet ouvrage s’intéresse aux processus ordinaires de conversions des sols, menés à bas bruit par les acteurs économiques locaux, les habitants et les détenteurs de terres rurales, et diversement orientés par les cadres règlementaires et les projets publics. Ces acteurs acquièrent des parcelles et les détournent de leur usage antérieur dans une perspective de capitalisation, d’habitation ou de développement d’activités économiques, parfois à une échelle importante, pourtant mal identifiée. À quel moment, où et comment s’effectuent ces conversions ordinaires d’usage des sols ? Quels sont les acteurs impliqués dans ces processus ? Quelles sont les éventuelles stratégies de résistance à ces conversions, d’anticipations et d’usages différenciés de la terre ?
La recherche s’est appuyée sur neuf études de cas localisées, qui sont présentées dans cet ouvrage. Elles présentent l’intérêt de pouvoir détailler la diversité des intérêts en jeu et les configurations spatiales de ces conversions, et de mettre en œuvre une approche méthodologique résolument empirique, focalisée sur les pratiques des acteurs.
- Kenya : Conversions des sols sur les franges rurales de Nairobi
- Tanzanie : Acteurs, processus et dispositifs de régulation des marchés fonciers périurbains
- Jordanie : Les processus de conversions foncières à Amman. Le cas des coopératives privées de logement
- Sénégal : Un urbanisme de la table-rase. La ville nouvelle de Diamniadio
- Bénin : Parcellisation du foncier. Quartier Togbin, agglomération de Cotonou
- Inde : Conversions foncières et économie des micro-lots, Bahour
- Côte d’Ivoire : Dynamique de conversion de l’usage des sols dans un village du Sud Comoé, Djimini-Koffikro
- Birmanie : Projets communautaires, Women For the World, Yangon
- Liban : Conversion d’usage des terres agricoles. Le cas d’un campement de réfugiés syriens
Éric Denis (UMR Géographie-cités) : Eric Denis est docteur en géographie, directeur de recherche au CNRS. Ses travaux contribuent à l’analyse des dynamiques de peuplement et des systèmes de villes. Il conduit également des recherches sur les transformations socio-spatiales et les inégalités dans les métropoles en expansion rapide. Il accorde une attention particulière à la question de l’urbanisation subalterne ou in situ et des petites villes ainsi qu’à la question foncière – à la conversion du sol aux usages urbains et à sa marchandisation.
Claire Simonneau (Laboratoire Techniques Territoires et Sociétés et UMR Géographie-cités) : Claire Simonneau est géographe-urbaniste. Ses recherches portent sur la production et la gestion des villes des Suds, observées à travers les pratiques d’appropriation du foncier et les dispositifs de leur régulation. A partir de terrains d’enquête en Afrique de l’Ouest (Bénin et Sénégal principalement), ses travaux contribuent à l’analyse des dynamiques foncières et immobilières populaires de l’urbanisation, et se penchent sur les alternatives à la propriété individuelle et aux acquisitions spéculatives, portées par des mobilisations sociales et des expérimentations sociales et juridiques locales.