Dans le cadre du séminaire international La justice spatiale en Amérique latine qui s’est déroulé le 3 novembre 2021, Alain Musset, chercheur associé à Géographie-cités, a prononcé une conférence inaugurale sur le thème : Réparation des injustices du passé : une approche territoriale.

Le thème de la réparation occupe une place de plus en plus importante dans le domaine des études post-coloniales, autant pour les populations des pays issus de la décolonisation qu’au sein des anciennes métropoles. Cependant, le débat a jusqu’ici été dominé par les historiens, les sociologues, les économistes et les anthropologues – de sorte que la dimension spatiale du problème a été souvent négligée comme si les injustices du passé n’avaient pas (ou peu) laissé d’empreintes sur le territoire, sauf sous la forme de certains hauts lieux de la mémoire collective qui sont chargés d’incarner les valeurs des communautés opprimées et de justifier leurs revendications actuelles. Or, la notion même de « réparation » a une dimension spatiale puisque l’injustice passée est toujours inscrite dans un espace. Dans ce cas, l’action de réparer conduit aussi à temporaliser l’espace, à l’inscrire dans une longue durée.

Le souvenir d’une injustice passée, entretenu par les garants officiels, institutionnels ou traditionnels de la mémoire, peut permettre de regrouper les fragments d’une communauté dont les revendications sociales, culturelles ou économiques constituent un territoire donné. Inversement, cette mémoire peut être utilisée par les groupes minoritaires (numériquement, mais surtout socialement et politiquement) pour revendiquer leur droit à être différents et, par conséquent, à être traités de manière différente par le gouvernement.

Une telle approche implique de s’intéresser non seulement à l’objet du litige (c’est-à-dire à l’événement ou au processus historique considéré comme le fondement d’une situation actuelle injuste ou au nom duquel on réclame la reconnaissance de certains droits), mais aussi à ceux qui, depuis le « haut » (institutions) ou le « bas » (société civile), se présentent comme les gardiens d’une mémoire associée à un territoire dont les frontières sont définies par l’impact réel ou supposé de cette injustice passée sur sa population.

En nous concentrant plus particulièrement sur le district indigène de Sutiaba à León (Nicaragua), nous examinerons comment et pourquoi ce qui est considéré comme une « injustice historique » peut être utilisé pour concevoir et structurer un territoire basé sur une identité partagée et une mémoire instrumentalisée.

Voir la conférence d’Alain Musset (en espagnol)