Le prochain séminaire PARIS  sera consacré à deux enquêtes sur les habitudes d’écoute, les préférences musicales et les jugements de goût conduites à l’aide d’un dispositif associant données déclaratives et observationnelles, approches statistique et qualitative. Il aura lieu le

21 juin
14h30-17h
Campus Condorcet
Centre de colloques
Salle 3.02

Intervenant-e : Anne-Cécile Ott (Centre Emile Durkheim, Bordeaux ; associée à Géographie-cités) ; Thomas Louail (Géographie-cités ; associé à PACTE, Grenoble)

Dans les recherches sur les comportements individuels il est rare de disposer pour de grandes populations d’enquêté-es à la fois de données observationnelles de pratique, telles que peut les produire le travail de terrain, et de données déclaratives, collectées dans des enquêtes par questionnaire ou entretiens. Nous présenterons deux recherches qui ont en commun de s’appuyer sur de telles données mixtes, collectées auprès de personnes utilisatrices de la plateforme de streaming musical Deezer.

 

Dans la première recherche, conduite avec Yann Renisio, nous nous intéressons aux écarts mesurables entre données d’enquête par questionnaire et données d’écoute sur la plateforme. Plutôt que d’utiliser une source d’information pour corriger les biais, manques et erreurs contenues dans l’autre, nous prenons ces écarts comme objet de la recherche. Nous faisons l’hypothèse que l’intensité et le sens de ces écarts dépendent des enquêté-es mais aussi des catégories au sujet desquelles les personnes sont interrogées. On se propose ainsi d’utiliser la mesure des écarts entre pratiques d’écoute déclarées et observées pour comparer différentes catégories de contenus musicaux, et pour quantifier l’inégale désirabilité sociale de différents répertoires. Plus précisément nous nous concentrons sur deux niveaux de description de la musique. Nous effectuons d’abord l’analyse au niveau des genres musicaux, catégories mal définies et problématiques mais qui sont néanmoins utilisées dans la plupart des bases de données musicales et dans la littérature en sociologie de la culture. Nous nous concentrons sur des genres traditionnellement considérés comme « highbrow » (musique classique et jazz) et « lowbrow » (rap) en raison des positions sociales des personnes qui dans les enquêtes déclarent les préférer. Nous testons si cette échelle sociale « highbrow-lowbrow » peut être retrouvée sans tenir compte des positions sociales des répondant-es, mais uniquement par la seule comparaison, entre genres, de l’intensité des écarts entre déclarations d’écoute et écoutes effectives. Nous reproduisons ensuite l’analyse au niveau d’une cinquantaine d’artistes considérés comme caractéristiques de ces genres. Nous montrons que si à un niveau agrégé, les déclarations d’écoute tendent à s’aligner sur les écoutes, au niveau individuel les enquêté-es ont tendance à sur-déclarer les genres et artistes qui sont consommés principalement par les classes supérieures, et valorisés par les critiques professionnels et amateurs.

La seconde recherche porte sur les jugements de goût musicaux exprimés par une trentaine d’enquêtés adultes lors d’entretiens individuels et expérimentaux. Les discours des enquêté-es sont comparés, après l’entretien, à leurs données d’écoute sur la plateforme au cours des années précédentes. Nous construisons des indicateurs et des visualisations de données qui permettent d’opérer une comparaison terme à terme entre discours sur des artistes et des genres mentionnés lors de l’entretien, et temps passé à streamer ces artistes et genres. En superposant les données d’écoute aux données d’entretien, on observe une forte disparité de situations, entre individus mais aussi entre répertoires. Les propos collectés en entretien constituent un proxy des écoutes effectives d’une qualité très inégale d’un individu à l’autre. De même, derrière l’ensemble d’artistes et de répertoires évoqués positivement en entretien existe chez tou-te-s les enquêté-es une distribution très inégale du temps passé à les écouter. Dans la seconde partie de l’entretien les enquêté-es sont invité-es à réagir à des extraits musicaux. L’analyse des écarts entre jugements de goûts exprimés et écoutes en streaming éclaire là aussi des différences sociales de considération entre répertoires, indépendamment de combien ils sont écoutés, appréciés et maîtrisés par les individus.

statistiques d'écoute deezer