Le Kazakhstan sur la carte du Monde

Dates : 2018 – 2020

Responsable du programme au sein de l’UMR : Clarisse Didelon-Loiseau

Équipe de l’UMR impliquée : PARIS

Nom des institutions partenaires : UMR 8041 CeRMI (Julien Thorez), UMR 8586 PRODIG (Yann Richard) et UMS RIATE (Nicolas Lambert)

Financement : Projet de recherche SarDyn, labex DynamiTe (2018-20)

Transversalité concernée : Stabilités et fluidités des objets géographiques

Description : une précédente enquête (EuroBroadMap, 2009-11) a montré que l’Asie centrale constituait un angle mort dans la représentation des régions mondiales. Ce résultat pourrait s’expliquer par un biais méthodologique : les régions dessinées sont centrées sur les enquêtés, or aucune enquête n’avait été réalisée en Asie centrale. Pour répondre à cette interrogation, l’enquête a été répliquée en 2018-19 au Kazakhstan.

L’expression « Asie centrale » désigne, selon les périodes et les approches, des entités différentes. Depuis 25 ans, la région connaît d’importantes évolutions (affirmation nationale, désintégration régionale, insertion mondiale…) qui transforment sa configuration territoriale (Thorez, 2011, 2015). Les incertitudes pesant sur la définition géographique de l’Asie centrale perdurent et confèrent à la région un intérêt particulier dans l’étude des représentations du Monde. Cela a été vérifié dans le projet « EuroBroadMap » (7ème PCRD) qui a vu la mise en œuvre d’une enquête à l’échelle mondiale sur les représentations du Monde. Les principaux résultats distinguent des structures « dures » (fortement ancrées dans les représentations) et des structures « molles », dont les définitions sémantiques et les contours peuvent varier (Didelon, Lambert, de Ruffray 2017). Ils mettent à jour l’existence d’espaces interstitiels situés aux confins des zones d’appartenance à deux structures continentales ou plus. L’Asie Centrale, fait partie de ces espaces interstitiels et se trouve souvent partagée entre plusieurs ensembles (Europe, Asie et Fédération de Russie). Elle est l’un des espaces les moins déterminés dans les représentations du monde, l’une des zones d’appartenance multiple les plus évidentes, quand on la regarde de l’extérieur. Toutefois, ce projet a également montré que, même à l’échelle mondiale, les représentations spatiales sont centrées sur les individus. L’existence et la délimitation des zones évoquées donc pourraient être dues à un biais méthodologique : aucune enquête n’ayant été menée en Asie centrale. Sur la base de nos conclusions théoriques, on peut faire l’hypothèse qu’une enquête menée dans cet espace devrait aboutir à découvrir une région « dure » dans les représentations des populations enquêtées. Celle-ci ne serait pas sans poser un certain nombre de questions sur son extension, sur les pays qu’elle inclurait, sur la netteté de ses limites et sur le (ou les) nom(s) qui lui serait donné(s). Elle soulèverait également des questions d’ordre géopolitique dans la mesure où elle entrerait en contradiction avec les représentations des populations des régions voisines enquêtées (Chine, Union européenne, Turquie, Russie). Son absence poserait au contraire des questions théoriques sensibles dans le champ des représentations mentales, en mettant en cause le principe de centralité évoqué précédemment. Par ailleurs, si cet espace était lui aussi, du point de vue des habitants de la région, rattaché aux régions voisines, lesquelles seraient dominantes (Asie ? Europe ? Russie ?) et quels facteurs pourraient l’expliquer ?

Notre objectif est de tester l’existence de cette région en faisant une enquête dans l’un des pays d’Asie centrale. Le choix du Kazakhstan est guidé par des considérations scientifiques et pratiques. Travailler au Kazakhstan permet d’appréhender la question des représentations de l’espace régional à différentes échelles, alors même que les autorités kazakhstanaises, qui présentent leur pays comme une interface, soutiennent les dynamiques d’intégration régionale. Travailler dans différentes villes de cet immense pays, dont la surface équivaut à cinq fois celle de la France métropolitaine, permettra en outre d’évaluer l’hétérogénéité des représentations à l’échelle nationale, à mesure qu’on s’approche de la Russie ou des pays de l’Asie centrale situés au sud.
Afin de faire des comparaisons avec les résultats du projet EuroBroadMap, la méthode d’enquête sera similaire et le questionnaire utilisé sera largement identique. Le même type d’échantillon sera retenu : des étudiants d’un niveau équivalent à la L3. Ils seront enquêtés dans plusieurs villes ayant des caractéristiques socioéconomiques différentes susceptibles d’influencer les représentations des personnes interrogées.
Pour l’analyse de l’enquête, les mêmes principes seront mis en œuvre que ceux établis dans le projet EuroBroadMap, pour garantir la comparabilité des résultats. Toutefois, l’un des objectifs de ce projet est d’aller au-delà d’Eurobraodmap sur le plan méthodologique en testant une chaîne d’analyse des questionnaires, qui permettra de produire rapidement et de manière souple des cartes analytiques, alors que le projet précédent en était resté à des méthodes « artisanales » très chronophages. L’utilisation de la chaîne méthodologique, allant du traitement à la représentation graphique des données collectées se fera dans un environnement logiciel cohérent et polyvalent (R) plaçant nos travaux dans une démarche de recherche reproductible.

Résultats attendus
Les résultats scientifiques attendus de la réalisation de ce projet sont de trois ordres.

  • Techniques et méthodologiques : produire un outil permettant de digitaliser et d’analyser de manière plus rapide et plus souple les représentations mentales. Cette enquête s’appuiera sur l’expérience acquise dans Eurobroadmap et servira de test méthodologique préalable à la réalisation d’enquêtes de plus grande ampleur dans d’autres régions.
  • Théoriques : confirmer ou infirmer le principe de centrage des cartes à l’échelle mondiale, même dans des régions perçues généralement comme interstitielles et floues, voire non perçues. Cela revient à vérifier l’existence d’un biais méthodologique dans les projets menés précédemment, ce qui en nuancerait certaines conclusions. On peut faire en effet l’hypothèse, vérifiée dans de nombreux cas, que la manière dont le monde est représenté et découpé est en partie influencée par la localisation des personnes interrogées (centrage des cartes et qualité de l’information décroissante à mesure qu’on représente des régions plus éloignées de soi).
  • Thématiques : si une région centre-asiatique était identifiée, l’analyser et montrer comment elle peut entrer en contradiction avec d’autres représentations du Monde, notamment celles des étudiants des pays voisins. On peut aussi faire d’autres hypothèses : les contours de l’Asie centrale varient sensiblement d’une ville du Kazakhstan à l’autre, avec de fortes différences entre les régions où la population russophone est nombreuse et les autres ; la région Asie centrale n’apparaît pas dans les représentations, ce qui viendrait du fait que l’intégration régionale n’est pas une priorité des pays de cette partie du monde ou du fait que le Kazakhstan ne faisait pas partie de l’Asie dite « moyenne » pendant la période soviétique. Enfin, cette enquête contribuera à la connaissance d’une partie du monde sur laquelle la littérature géographique est peu abondante.