Carte du départ des convois de déportation de mars 1949 depuis l’Estonie, avec indiqués les voies de chemin de fer, le numéro des convois, le nombre de familles, d’hommes et de femmes dans chaque convoi. Moscou, Archives militaires nationales de Russie (RGVA), fonds 38058, inv. 1, d. 13, photo du 28 avril 2015

Dates : 2020 – 2021

Responsable du programme au sein de l’UMR : Denis Eckert

Membres de l’UMR impliqué·e·s dans le programme : Denis Eckert, Sébastien Haule, Béatrice Von Hirschhausen

Équipe de l’UMR impliquée : PARIS

Noms des institutions partenaires : CERCEC (EHESS/CNRS)

Responsables du programme en dehors de l’UMR : Alain Blum (EHESS/INED)

Financement : EHESS

Transversalité concernée : Mobilités et territoires : vers une approche relationnelle de l’espace ; Stabilités et fluidités des objets géographique ; Données et protocoles dans les humanités numériques

Description : Le projet travaille à une représentation cartographique des trajectoires de déportation et des « colonies spéciales » où, du temps de l’URSS, furent reléguées des groupes entiers de populations (environs 6 millions de personnes). On réalise ici une étude sur trois territoires-témoins en vue d’une approche généralisable à l’ensemble de l’URSS.

Au cours des trente dernières années, l’ouverture des archives soviétiques a permis de considérables avancées dans la connaissance de l’univers concentrationnaire en URSS, à partir de laquelle notamment a pu être constituée une cartographie relative-ment fine des camps de travail forcé, de leur évolution en fonction des chantiers, des groupes de condamnés, etc. A côté de cette histoire du bagne au XXe siècle, les pratiques de déportation qui ont consisté à déplacer autoritairement des groupes en-tiers de population en les assignant à résidence dans des zones souvent très éloignées de leurs terres natales restent comparativement beaucoup moins connues. Bien que ces déportations, sur décision administrative (et non pénale) aient touché environs 6 millions de personnes, la géographie des « colonies spéciales » ainsi que furent nommées les lieux de relégation des déportés est, dans une large mesure, à établir. Que sont ces lieux ? Des zones mêlant une population locale et des groupes caractérisés par un déracinement vertigineux, conservant, néanmoins, des liens avec leurs proches demeurés dans leurs villes ou villages d’origine, tissant de nouveaux liens dans une localité imposée, jusqu’à des unions et des créations de familles, et conduisant à une reconfiguration sociale et économique sur place. Conçues pour isoler des groupes stigmatisés comme dangereux, indésirables, les « colonies spéciales » constituèrent de nouveaux melting pot, des lieux exogènes et de circulation, en raison des transferts culturels, de pratiques liées à la présence des déportés mais également de leurs liens maintenus, sous différentes formes, aux territoires d’origine. L’objectif final de la recherche est de tracer une géographie humaine et historique de la déportation : il s’agit, par le suivi des trajectoires individuelles et collectives, de croiser les expériences de la déportation avec les types de localisation des colonies spéciales.

Le projet de recherche en cours a pour objectif de saisir à travers une cartographie à plusieurs échelles la complexité de la géo-graphie de l’exil, tant dans ses lieux que par ses trajectoires, en proposant une manière de l’informer par la représentation graphique et spatiale.

Si plusieurs travaux ont déjà été menés sur ces déplacements, permettant d’en connaître divers aspects, il reste que la mise en cartes du phénomène est un parent pauvre des recherches réalisées. A l’exception de quelques cartes, bien classiques, montrant les flux et leurs orientations, peu de réflexions ont été menées sur sa dimension spatiale. Or nous voulons prendre en compte la diversité des lieux de relégation comme celle des trajectoires et des temporalités d’exils, tant au niveau individuel qu’au niveau collectif. Il s’agit aussi de montrer la variété des formes d’insertion dans les territoires de relégation, lesquels étaient tantôt fortement peuplés de résidents locaux, tantôt plus déshérités, parfois proches de centres administratifs ou au contraire éloignés car voués à l’exploitation de ressources, elles-mêmes très diverses selon les régions.

Ce projet exploratoire entend, d’une part, cartographier les lieux d’exil, en travaillant prioritairement sur trois territoires-témoins qui formeront le socle d’une « étude de faisabilité » d’une approche généralisable à l’ensemble de l’URSS. Le travail ciblé de géolocalisation des lieux de relégation dans ces trois territoires permettra de montrer les potentialités d’une étude spatialisée fine sur la relégation en contexte : distributions respectives des populations (résidentes et exilées) dans l’espace régional, dispersion/concentration des lieux de relégation par rapport aux centres urbains, liens avec la géographie économique des territoires (lieux d’emploi de la main-d’œuvre exilée), etc.

Le projet vise d’autre part à élaborer des représentations spatio-temporelles des trajectoires individuelles de l’exil. Il s’agit, à partir de récits d’exil individuels, de repérer et coder systématiquement les indications temps/espace fournies par les sources (interviews). Les informations pertinentes sont non seulement les lieux et durées successifs des parcours complexes d’exil, mais aussi la mention des liens maintenus au territoire d’origine, ou développés dans les territoires de relégation eux-mêmes. Les sources collectées antérieurement permettent de construire, individu par individu, des représentations graphiques originales des parcours intégrant l’espace et le temps, en s’inspirant de travaux récents sur les narrations spatiales des parcours de l’exil syrien.