
« Et Staline regarde en souriant ». Évocation du projet de pont de 1949. © Ilya Klein, 2021
Les discontinuités d’une longue histoire
Denis Eckert et Ivan Savchuk
De nombreux projets de ponts traversant le Détroit de Kertch ont été conçus dans le passé, avant le pont actuel mis en service en 2018.
On s’intéresse aux décisions qui ont conduit successivement les protagonistes successifs de cette histoire à lancer (ou à renoncer à) des projets entre 1903 et 2014, et aux facteurs de géographie économique et de géopolitique qui ont orienté ces décisions au fil du temps. En conclusion, on imagine quel effet pourrait avoir une normalisation du statut juridique international de la Crimée sur le trafic du pont d’aujourd’hui.
Avant-propos
« Entre l’écriture de cet article et le moment de sa publication, l’inconcevable s’est produit : les forces armées de la Fédération de Russie ont franchi la frontière, au matin du 24 février 2022, et une guerre a commencé sur le sol de l’Ukraine. Ce qui fait que le lecteur aura un regard différent sur ce texte que celui que nous imaginions en l’écrivant. Les deux auteurs souhaitent néanmoins publier l’article tel qu’il a été conçu à l’origine, écrit en temps de paix et validé par le comité de rédaction de Mappemonde, y compris sa conclusion intitulée « un peu de géographie-fiction », une fiction complètement dépassée par la réalité.
Bien évidemment, l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe nous pousse à faire des remarques dictées par le présent. Si certains projets de ponts ont été imaginés en temps de paix, sous la Russie des tsars ou dans l’URSS d’après 1945, les seules infrastructures à avoir réellement été construites l’ont été en contexte de guerre : par les Allemands en 1943, par les Soviétiques en 1944-1945. Le Pont de Crimée a donc un lien fort avec la guerre. Et, aujourd’hui, force est de constater que le pont actuel a été mis en service quatre ans après l’invasion-éclair de la Crimée et l’intervention militaire dans le Donbass de 2014, et quatre années aussi avant l’attaque généralisée sur l’Ukraine. Dans un intervalle de huit ans, deux invasions et, au milieu de cette chronologie, un pont emprunté, en ce mois de mars 2022, par de nombreux convois militaires russes.«
Denis Eckert, géographe, directeur de recherche au CNRS, membre de Géographie-cités et membre d’un projet de recherche franco-allemand sur l’Ukraine et la Moldavie et Martin Motte, directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études et membre de l’Institut de stratégie comparée dialoguent dans la série en quatre épisodes « Petite géopolitique des ponts » dans l’émission Cultures Mondes animée par Florian Delorme sur France Culture le 5 avril.
Ivan Savchuk, chercheur à l’Université de la Défense nationale d’Ukraine, Kyiv (Ukraine), spécialiste de géographie économique, poursuit actuellement ses recherches en France, au laboratoire Géographie-cités. Il participe au programme franco-allemand Limspaces (2021 – 2024) qui propose une lecture renouvelée des sociétés d’Ukraine et de Moldavie. Ce programme, financé par l’ANR et l’Agence nationale allemande de la recherche, en partenariat avec le ZOiS et le Centre Marc Bloch (Berlin) est dirigé par Béatrice von Hirschhausen, membre de Géographie-cités.