1ere de couvertureFace à une crise du logement qui prend de plus en plus d’ampleur en France et que bon nombre d’observateur·trice·s qualifient de « bombe sociale » à retardement, l’ONG Oxfam France publie aujourd’hui un nouveau rapport mettant en lumière l’explosion des inégalités dans le secteur. Renaud Le Goix, professeur à l’Université Paris Cité et Thibault Le Corre, professeur adjoint à l’Université de Montréal, tous deux membres du laboratoire Géographie-cités, ont contribué à ce rapport publié lundi 4 décembre.

Alors que le logement est un droit fondamental, on assiste au désengagement progressif de l’Etat depuis des décennies. Le rapport alerte sur les conséquences de l’émergence de la financiarisation dans le secteur du logement, une fiscalité inadaptée et une absence problématique de régulation des acteurs privés qui sont autant de freins dans l’accès à un logement abordable pour toutes et tous.

Logement et inégalités : les chiffres-clés du rapport

  • Les 25 % les plus modestes consacrent deux fois plus de leurs revenus aux dépenses de logement que les 25 % les plus aisés
  • Oxfam a calculé que trois niches fiscales relatives au secteur du logement ont coûté près de 11 milliards aux finances publiques en 12 ans, de quoi financer plus de 70 000 logements sociaux.
  • En vingt ans, les prix des biens immobiliers ont augmenté 4 fois plus vite que les revenus bruts des ménages.
  • Début 2021, les 10% des Français les plus riches en patrimoine concentraient 44% de tout le patrimoine immobilier français. 3,5% des ménages détiennent à eux seuls 50% des logements mis en location.

Un désengagement progressif de l’Etat et une financiarisation accrue

Le premier constat de l’étude est que le désengagement progressif de la puissance publique ces dernières décennies, laisse une plus grande place à des acteurs financiarisés et à une quête de rentabilité à tout prix. Dans cette course à la rentabilité, les résidences privées (étudiantes et séniors) se sont multipliées au détriment d’une offre abordable pour les plus précaires.

La multiplication de niches fiscales censées attirer les financements privés a par ailleurs participé au développement du phénomène de financiarisation. Selon le rapport d’Oxfam France, trois niches fiscales ont coûté près de 11 milliards aux finances publiques en 12 ans alors même que cela aurait pu financer la construction de plus de 70 000 logements sociaux.

Face à la crise, une fiscalité inadaptée et une absence de régulation des acteurs privés

La fiscalité avantageuse pour les détenteurs de capital favorise les multipropriétaires. Ainsi, 3,5 % des ménages détiennent plus de 5 logements, soit 50 % des logements mis en location par des particuliers en France. Dans le même temps, la demande en logements sociaux explose et en 2020, les ménages se sont endettés en moyenne sur 22 ans pour acquérir leur résidence principale contre 15,5 ans en 2000.

La régulation d’acteurs privés comme Airbnb reste aussi un enjeu majeur. Les plateformes de location courte durée créent une pénurie de logements et contribuent à l’augmentation des prix dans certains territoires français.

L’enjeu de l’accession à la propriété et la rénovation du parc

Face à l’explosion des prix immobiliers (+160% depuis les années 2000) et des revenus qui augmentent bien moins vite (+29% en moyenne sur la même période), l’accession à la propriété est de plus en plus difficile pour les plus modestes, voire également pour la « classe moyenne ».

La rénovation énergétique des bâtiments est par ailleurs une problématique centrale des discussions autour des inégalités face au logement. Alors que les plus modestes sont les premières victimes de la précarité énergétique, il est essentiel de s’assurer que les particuliers multipropriétaires soient davantage incités à rénover leurs logements.

Les recommandations d’Oxfam France

Pour garantir un logement abordable et décent à toutes et tous et réduire les inégalités, Oxfam propose une série de recommandations à destination des décideurs politique. Parmi elles (résumé exécutif, p. 15) :

  • Constitutionnalisation du droit au logement au même niveau que le droit à la propriété
  • Renforcement du service public du logement pour favoriser l’accès à un logement abordable pour tou·te·s
  • Restriction voire interdiction de la présence d’acteurs financiarisés dans le “marché du logement”
  • Introduction de la possibilité pour les communes d’interdire la mise en location pour une courte durée des résidences secondaires et ainsi limiter cette possibilité aux seules résidences principales.

La financiarisation du logement social et intermédiaire et ses acteurs

Dans le chapitre 2 du rapport, Thibault Le Corre et Renaud Le Goix, afin d’éclairer la coloration particulière de la financiarisation du logement aidé en France, reviennent sur les éléments de contexte – crise de l’abordabilité, restructuration des marchés du logement et, dans un contexte d’austérité, recul de l’intervention de la puissance publique dans le financement et la production de logement. Ils constatent que deux mouvements de fonds s’articulent, « d’une part une privatisation rampante du logement social liée aux nouvelles sources de financement, d’autre part la création d’un nouveau segment de marché taillé pour les institutionnels : le logement locatif intermédiaire (LLI). »

« La progression de la financiarisation en France n’est pas le calque de son déploiement dans d’autres contextes. Cela dit, il n’y a pas d’exception française. Plus le logement et son foncier sont transformés en actifs d’investissement, plus les effets de la crise d’abordabilité s’accentuent. Ce constat est partagé par nombre de chercheur.ses qui s’engagent pour faire reconnaître le logement comme un droit humain avant d’être un moyen d’accumulation. »

Thibault Le Corre, Renaud le Goix, p. 30

Télécharger Logement : inégalités à tous les étages. Coord. : Léa Guerin. Ed. Oxfam, 2023, 84 p.

Auteur.e.s des chapitres (par ordre alphabétique) : Francesca Artioli, Thomas Aguilera, Claire Colomb, Danyel Dubreuil, Alexis Guillaume, Léa Guerin, Renaud Le Goix, Thibault Le Corre, Pierre Madec, Philémon Matray.

Lire le résumé, 24 p.

Oxfam

Oxfam est une confédération internationale d’organisations non gouvernementales (ONG) qui oeuvrent pour la réduction de la pauvreté et des inégalités dans le monde. Oxfam travaille sur diverses questions liées à la pauvreté et aux inégalités, et aborde une gamme étendue de thématiques liées à ces questions, allant de la lutte contre la pauvreté, à la justice économique et fiscale, la justice climatique, aux droits des femmes, mais également aux réponses humanitaires et de crise. Ces sujets reflètent l’approche globale d’Oxfam visant à résoudre les problèmes structurels qui contribuent à la pauvreté et aux inégalités dans le monde.

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Presse

Oxfam s’inquiète d’une « financiarisation » du secteur du logement en France (Réservé aux abonnés). Le Monde, 4/12/2023