Cette journée d’études a pour objectif d’interroger nos pratiques du concept de distance, au travers de réflexions croisant disciplines, aires culturelles et périodes. Elle aura lieu le
27 mai 2024
de 9h00 à 13h00
INHA Paris 2e
Salle Mariette
La distance est un concept particulièrement riche. D’une part parce qu’il est employé depuis longtemps par diverses disciplines qui décrivent les espaces (géométrie, physique, géographie, optique). La distance a de ce point de vue d’abord été une question de plus court chemin, ce que l’on appellerait aisément aujourd’hui la distance euclidienne, pour se démultiplier en distance apparente (optique et géométrie), ce qui mène par exemple à l’un des problèmes classiques des manuels d’arpentage relatifs aux distances inaccessibles. On notera que ce faisant la distance n’est pas nécessairement une question de mesure, mais plus souplement le fait de ne pas être à proximité, voire de ne pas toucher l’objet. L’usage de cette réflexion sur l’éloignement de l’objet a mesurer, à évaluer, ou sur lequel agir (on peut penser tant à la magie qu’à la diplomatie) déjà très vif s’est trouvé amplifié par l’arrivée des moyens de communication à distance.
Le concept, lorsqu’il s’agit de mesure s’est en outre élargi, ne se limitant plus à la question du plus court chemin, et s’ouvrant sur diverses distances qualifiées par le réseau utilisé ou le moyen de transport (distance à vol d’oiseau, distance par la route, échanges épistolaires…). Une partie de ces réflexions ont abouties aux travaux sur les anamorphoses qui font jouer différents types de distances pour donner à voir leurs implications sur l’espace. La distance exprime également le concept de pas (en lien direct avec la question de l’espace), entendons d’écart plus ou moins constant, « de distance en distance » -ou encore « de loin en loin » – ou enfin d’intervalles réguliers (art militaire), ou irréguliers, au sein d’une série d’objets, il peut être alors question de rythme(s) (musique).
Cet aspect foisonnant se trouve amplifié par les usages métaphoriques qui en sont fait, d’abord de façon très courante, comme beaucoup des concepts spatiaux, en les reportant du côté du temps (la distance de la création du monde), ensuite pour marquer des positions sociales, (tenir quelqu’un à distance), voir pour dépeindre des rapports sociaux, ce que l’on trouve chez Georg Simmel dès les années 1890, et qui a pu être croisée, bien plus tard, en mettant en tension distance spatiale et sociale. Au-delà la métaphore peut aussi se déployer vers une réflexion sur le point de vue, et sur ce que la mise à distance permet en tant que procédure d’estrangement. Ce qui s’opère au travers ce dernier usage procède d’un déplacement autre qui, plus que de s’intéresser aux usages des individus dont les pratiques et discours sont étudiés par les sciences sociales, développe une réflexion sur l’épistémologie même de ces disciplines. Se mettre à distance, prendre du recul sont autant de formes de changement du regard. Or, ces interrogations traversent nos disciplines, de façons parfois violentes. Il en est ainsi de l’anthropologie qui longtemps travailla essentiellement sur ce qui était à distance, tant spatialement que morphologiquement dans la forme des groupes étudiés. Chacun connaît les réflexions de l’anthropologie et les travaux de Clifford Geertz sur les savoirs locaux. C’est plus largement le cas de toutes les sciences sociales qui ont été amenées à prendre en charge les études post-coloniales qui se déploient depuis les travaux d’Edward Saïd. Dans les deux cas la grande distance entre métropoles et colonies d’une part, et la petite distance sur le terrain entre colonisateurs et colonisés permettent d’insister sur les tensions entre les différents savoirs situés. Une partie des travaux redoublent le questionnement en travaillant sur la question des différentiels de mesures des distances dans une lecture postcoloniale.
Interventions
Kapil Raj, directeur d’étude à l’EHESS : « Trouver une mesure interculturelle de la distance : les » go-betweens » et l’arpentage indo-britannique du Tibet au XIXe siècle ».
Giovanna Cifolett, directrice d’étude à l’EHESS : « Déterminer la distance chez un maître d’abaque et chez un humaniste ».
Naveen Kanalu Ramamurty, maître de conférence à l’EHESS : « Distances et administration dans l’Empire moghol ».
Cecilia D’Ercole, directrice d’étude à l’EHESS : « Enjeux et impacts de la distance dans l’essaimage grec en Méditerranée (VIIIe-VIe siècles av. J.-C.) »
Nicolas Verdier, directeur de recherche au CNRS et directeur d’Étude à l’EHESS : « Les distances à l’origine de la vitesse. Le cas d’un voyageur des Lumières ».