La mémoire du Rideau de fer et de ses miradors dans les paysages autrefois partagés de basse Franconie. Thuringe 2020. Peter Ulrich

Dates : 2020 – 2021

Responsable du programme au sein de l’UMR : Béatrice von Hirschhausen

Membres de l’UMR impliqué·e·s dans le programme : Christophe Quéva, Joséphine Lécuyer

Équipe de l’UMR impliquée : PARIS

Noms des institutions partenaires : Center B/ORDERS IN MOTION ; Université européenne Viadrina de Francfort sur l’Oder ; Centre Marc Bloch ; Laboratoire Printemps ; CNRS / Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Responsables du programme en dehors de l’UMR : Carolin Leutloff-Grandits (Center B/ORDERS IN MOTION), Laure de Verdalle (Laboratoire Printemps)

Financement : CIERA (Programme Formation Recherche – PFR)

Transversalités concernées : Mobilités et territoires : vers une approche relationnelle de l’espace ; Stabilités et fluidités des objets géographiques

Site internet

Description : Le projet interroge les différences observables entre les sociétés est- et ouest-allemandes, 30 ans après la réunifi-cation. Il repose sur des enquêtes ethnographiques conduites par des équipes franco-allemandes, revenant sur les terrains de thèse de deux anthropologues qui avaient étudié des villages situés au contact de l’ancien Rideau de fer dans les années 1990.

Sur les cartes des élections au Bundestag de 2017 sont apparues avec une netteté étonnante les traces du partage des deux Allemagnes : dans les « nouveaux » Länder, les partis de gouvernement « classiques » font des scores singulièrement bas ; en revanche Die Linke et – phénomène nouveau – l’AfD y gagnent leurs meilleurs résultats. La « grande coalition » actuellement au pouvoir y est donc faiblement soutenue.

Nous proposons un projet de formation à la recherche par une recherche interdisciplinaire de première main, via une coopération entre l’Université de Paris 1, le Centre B/ORDERS IN MOTION à l’Université Viadrina de Francfort/Oder et le Centre Marc Bloch en mobilisant les approches de la géographie, de l’anthropologie sociale, et des sciences politiques.

L’originalité du projet consiste à nouer cette coopération franco-allemande et interdisciplinaire sur un objet de recherche commun. Il s’agit d’analyser ce qui se joue, une génération après la Réunification, au sein des sociétés locales est- et ouest-allemandes afin d’éclairer cette géographie électorale étonnante. Nous focaliserons l’analyse sur les sociétés rurales, essentielles à la compréhension de la carte mais plus rarement étudiées.

Cadres de référence et questionnement

En-deçà de la très abondante littérature des Borders studies qu’il n’est pas possible de rappeler ici, notre projet peut s’adosser à trois types de travaux :

  • La frontière interallemande avait au cours des années 1990 et 2000, suscité les recherches sur la transformation des sociétés rurales aux abords du Mur. Deux thèses en anthropologie sociale avaient notamment interrogé l’expérience de la rupture politique et de la Réunification, ainsi que les imaginaires sociaux des habitants de villages situés dans les zones frontalières : la thèse de l’anthropologue américaine Daphne Berdhal en 1999 et la thèse de l’ethnologue francaise Valentine Meunier. Ces travaux ont mis en lumière les effets de positionnement des acteurs, de construction des identités dans leur rapport à l’altérité de « l’autre côté » (« drüben »), et les spécificités de leurs situations « liminales », « betwixt and between», entre deux mondes. Leurs analyses sont à mettre au regard de travaux postérieurs, comme de Sarah Green sur les processus de « relocation» des frontières sous l’effet de l’effacement du rideau de fer, qui transforment en profondeur les imaginaires sociaux relatifs aux positions géographiques. Les travaux en géographie avaient porté sur les effets de dépendances et de coévolutions socio-économiques dans les espaces frontaliers, sur les circulations aussi bien que sur les effets de barrière, sur les effets d’héritage ou de rupture ou sur les stratégies de valorisation de la frontière. On pense ici aux travaux de Hélène Roht, de Guillaume Lacquement, de Christophe Quéva, d’Olivier Charlot. Des travaux en langue allemande ont plus récemment traité du processus de « périphérisation » (« Peripherisierung ») dont avait font l’objet les territoires et les sociétés est-allemandes : on peut pour cela se référer aux articles publiés depuis les années 2000 par Karl-Dieter Keim (2006) Thomas Burk (2013), Matthias Naumann et Anja Reichert-Schic (2013) et Hélène Roth (2016). L’ensemble de ces recherches en anthropologie et en géographie ont mis l’accent sur les ambivalences du passage de situations périphériques « au bout du monde » à une certaine centralité dans l’Allemagne réunifiée. Ce projet est l’occasion de revenir 15 à 20 ans après, sur les mêmes terrains de recherche.
  • Les choix des votants dans les nouveaux Länder ont également suscité des thèses (voir par exemple celle de Ulrich H. Brümmer en 2006, Steffen Schoon en 2007 ou Delphine Iost en 2012) qui se sont intéressées aux inerties ou, inversement, aux mutations des « cultures politiques » locales et des attitudes électorales. Nous nous adossons ici aux travaux de science politique qui ont contesté un schéma d’analyse très en vogues dans les années 1990 et qui assignait les « Ossis » à une « mentalité » ou à un « culture politique » qui serait toujours prisonnière de leur socialisation politique au sein d’un Etat autoritaire et paternaliste. Ce sont notamment les visions qu’avaient défendu dans les années 1990 des auteurs de sciences politiques importants comme Claus Offe, M. Rainer Lepsius Helmuth Wiesenthal.  Nous posons au contraire, à la suite de Detlef Pollack, que les différences entre les attitudes politiques signalent moins une différence entre les valeurs héritées de passés séparés qu’entre les expériences postérieures à la Réunification et que c’est donc dans une perspective située et relationnelle qu’il faut les aborder. Nous ne considérons donc pas les cultures politiques en jeu comme des donnés stables dans la durée mais plutôt comme le résultat de différentes formes de stratégies de distinction et de réactualisation de la différence. Notre enquête s’intéressera notamment à la construction par les media des positionnements relatifs des populations de part et d’autre de l’ancien Mur.
  • Les travaux développés par des membre du projet au cours des dernières années dans le cadre du projet « Phantomgrenzen in Ostmitteleuropa » ont mis au point une grille d’analyse originale des traces laissées par des territorialités défuntes dans les sociétés contemporaines en partant d’analyses microsociales, conduites de part et d’autre d’une ancienne frontière. Cette grille permet d’interroger la production vernaculaire des frontières fantômes à partir de trois entrées que l’on considère conjointement : celle des acteurs et de leurs capacités d’agir (« agency »), celle de leur expérience située et enfin celle de leurs imaginaires, de leurs croyances et de leurs attentes. Il s’agit de placer les choix individuels et collectifs au centre de l’analyse, dans leur double relation à l’espace structuré-structurant de l’expérience et aux horizons d’imaginaire et de croyance, sans les enfermer dans de supposées « mentalités » locales essentialisées dont ils seraient prisonniers. C’est à partir de cette triple entrée que nous projetons d’enquêter sur nos terrains villageois.

Mise en œuvre du projet

Le projet a l’originalité d’être articulé sur des séjours d’étude conduits parallèlement sur deux sites de thèses des années 1990 : sur le terrain de Daphne Berdahl (1999) à Kella (Saxe-Anhalt) et dans la commune, en vis-à-vis, dans le village de Neuerode (Hesse) ainsi que sur le terrain de Valentine Meunier (2001) à Gompertshausen (Thuringe) et Alsleben (Bavière).

Ce travail a donné lieu à un workshop réunissant les participants en janvier 2020 et à un colloque international digital en novembre 2020, à l’occasion des 30 ans de la Réunifi-cation et intitulé « Schatten der Einheit? Deutsch-deutsche Perspektiven nach dreißig Jahren Wiederve-reinigung ».